En 2018, je me décide enfin pour un court séjour à Ouessant.
J’y retrouve d’abord la mer, froide et mouvementée, à bord du Pennarbed au départ de Brest. C’est parti pour 2h30 de traversée, histoire de bien se couper du monde.
Tout d’abord il y a le cri des mouettes, puis l’odeur de l’iode et de la rouille, pas de doute j’y suis sur le port de Brest. Puis il y a Jacky qui hurle que nous avons largué les amarres, au cas où certains auraient encore des doutes.
Nous sommes une petite trentaine ce matin du 17 mars 2018 sur le Penn Ar Bed. Des touristes. Des jeunes joyeux avec leurs Stan Smith encore crottées de leur soirée et déjà à la Kro à 8:30. Ceux là vont nous animer la traversée c’est certain. Toute à l’heure, au Conquet, d’autres nous rejoindrons, je serai dans la cale inférieure, j’aurai pris mon café et crocheterai mon ouvrage en regardant les bateaux de pêche avec leurs pare-battages en guise de collier.
Nous ne sommes pas encore sortis de la rade que déjà le tangage me rappelle mon enfance et les traversées vers Jersey, avec cette houle longue sur laquelle surfait le voilier de mes parents.
Ah les bretons et leurs calvaires… il y en a un justement en sortie de rade juste avant le phare, une mouette y fait les comptes des entrées et sorties. Fait elle aussi sa prière quand la mer est déchainée et que les bateaux têtus la narguent de leur fidélité au trajet?
J’en suis là de mes pensées que le froid me saisit : nous ne sommes qu’en mars, et cette année un mars glacial, donc oust ! Direction la cale.
Qui sait qu’un bruit de moteur berce ?
En bas un groupe embarqué du Conquet commente chaque balise et caillou sur notre passage. Balise jaune haut noir, passage au nord ?
Nous passons devant l’ile longue de Quéménès qui recherche un nouveau couple de gardiens, la famille précédente ayant décidé de rentrer sur la terre ferme pour les études des enfants. Elle y est restée 10 ans. 10 ans de bonheur parait il, de slow life, un remake de la petite maison dans la prairie façon Bretagne. Puis ce sera Molène, et à peine un quart d’heure plus tard, Ouessant.
Arrivée décevante à l’embarcadère du Stiff, moi qui croyais affronter une passe mouvementée entre deux roches meurtrières, un long quai surplombé par un hangar moderne nous y attend.
Voilà le début d’une histoire que j’aurais peut être continué d’écrire, mais, damned ! J’ai été happée par la sauvagerie de l’île et mon œil a pris le dessus.
Tout est tel que l’on se l’imagine ici : la rudesse et les peaux tannées des iliens, la lande, la mer argentée ou verte selon le soleil, les moutons noirs, les roches découpées qui se laissent envahir par une mer déchaînée et bruyante, la fulgurance d’une luminosité paradisiaque…
Puis, ce que l’homme a façonné : les insertions de granit autour des portes et fenêtres, les bondieuseries du vieux cimetière de Lampaul, les tricots de laine locale, les bouées de casiers remisées pour l’hiver en sortes de colliers bariolés…
A Lampaul, j’ai loué un penty sur les hauteurs du village. Je m’installe tous les après midis pour coucher brièvement sur le papier les sensations de mes escapades sur l’île. Je ne sais pas qui , des roches, des galets ou des maisons m’a le plus inspirée, toujours est-il que je reviendrai avec une petite série de peintures aux formes rondes et épurées.
« Devant ces paysages hostiles et envoûtants, on a envie de parler et de se taire en même temps » a dit Yann Queffelec.
C’est exactement cela, la beauté et la sauvagerie de la nature y sont extraordinaires et j’ai été happée comme tant d’autres par les roches découpées de la côte.
(« Qui voit Ouessant, voit son sang » car c’était déjà trop tard pour les marins qui par mauvais temps voyaient les rochers …)
Après mon séjour en mars 2018, j’ai travaillé sur des grands formats 200x160cm, j’ai tenté d’y mettre les couleurs hivernales de l’île, la découpe des roches et le remou de la mer au pied des falaises.
Les laminaires… Ces longues algues brunes visqueuses ! Je ne les aime pas beaucoup et pourtant elles exercent une certaine attirance sur moi .
Je me souviens les avoir vues, petite, lorsque je me penchais par dessus la coque du bateau, dans les criques près de Plougrescant ou Bréhat. Elles me faisaient peur, j’avais l’impression que leurs longs rubans pouvaient m’avaler si par malheur je tombais à l’eau !
J’en ai observé bien accrochées à leurs bouées de récoltes dans la baie de Lampaul à Ouessant ou bien déracinées sur les plages de la baie d’Audierne, après quelque tempête.
Leurs racines puissantes, leurs extrémités ourlées forment de belles lignes , rondes et douces, dont je tire mon inspiration pour cette série.
Mon imagination y voit tour à tour animaux, crustacés, oiseaux… »
Début 2019, je retrouve une vidéo au sujet de l’herbe peignée d’Ouessant : expression sublime pour exprimer ce vent qui s’engouffre dans ces mottes herbues de la côte ! ( Une expression que je n’ai pas retrouvée en faisant des recherches, mais qu’un guide local a employée durant une visite au Créac’h)
Ce qui me frappe sont les lignes à la fois horizontales et verticales des ces herbes , leur mouvement, leur sauvagerie.
Les dessins et peintures arrivent vite autour de cette notion d’herbe peignée qui me plait beaucoup, j’y travaille tout un semestre début 2019 , au crayon, à l’huile, sur papier , sur toile… Les traits en paquet figurant les herbes sont presque comme un motif que je répète sur plusieurs peintures.
Comme à mon habitude, mes recherches débordent sur des médiums que j’aime comme le papier , la tarlatane…
Il y a de toutes petites choses qui sont comme des caresses, j’y pense en « détissant » ma tarlatane, ce sont de petites caresses pour l’esprit, d’infimes subtilités qu’on aimerait retenir… La tarlatane est un de mes textiles préférés. Son fil est souple et rêche à la fois, il offre de nombreuses possibilités , absorbe encre et peinture, colles et enduits, se détisse en fils réguliers quand notre geste est doux, ou en fils cassants si on est trop brutal.
Le processus de création ici laisse la part belle aux accidents, aux hasards… Je lui accorde beaucoup de temps, ne cherche pas à obtenir un objet artistique, divague beaucoup, touche, retouche , trempe les fils dans la couleur… sans savoir où je vais, je tourne autour de ces matières naturelles en attendant le moment de la révélation …
Je pense au vent dans les herbes à Ouessant …