CAMUS & moi, Emois
RECIT DES 14 JOURS EN GRÈCE SUR LES TRACES D’ALBERT CAMUS
28 aout 2021
Départ dans quelques heures pour Athènes !
Départ dans quelques heures pour Athènes !
Dans une démarche similaire à celle réalisée à Ouessant en 2018, qui aura donné lieu à tant de dessins et peintures, je chercherai à transcrire les sensations expérimentées en face des paysages, du bleu de la mer, de la douceur îlienne et peut-être y trouverais-je aussi cette liberté tant attendue après ces mois de confinement !
Je me sens déjà proche des notes de Camus , ayant souvent travaillé sur la notion d’horizon et la mer, et à mon tour, j’aimerais :
« retenir cette lumière, revenir, ne plus céder à la nuit des jours » (Camus – Carnets III)
29 aout 2021 – CAP SOUNION
« …Sur le cap, au pied du temple, il n’y a plus que le vent…
« …Sur le cap, au pied du temple, il n’y a plus que le vent…
Le vent furieux siffle dans les colonnes si fort qu’on croirait à une forêt vivante.Il brasse l’air bleu, aspire celui du large, le mélange avec violence aux parfums qui montent de la colline couverte de fleurs minuscules et fraîches et fait furieusement claquer sans trêve autour de nous des draps bleus tissés d’air et de lumière. Assis au pied du temple pour s’abriter du vent, la lumière aussi tout se fait plus pure dans une sorte de jaillissement immobile. Au loin des îles dérivent. Pas un oiseau. La mer mousse jusqu’à l’horizon. Instant parfait. »
Route VERS MICENES , je suis passée par le canal de Corinthe … C’est une petite entorse au programme mais je ne pouvais pas passer à côté sans m’arreter! #vertige


30 aout 2021 . MYCENES
Camus a été plus que touché par la beauté du site archéologique de Mycenes.
Il écrira le 2 mai : «Il valait la peine de venir de si loin pour recevoir ce grand morceau d’éternité. Après cela le reste n’a plus d’importance »
Quand on grimpe sur l’acropole, on ressent toute l’immensité du paysage. L’horizon est composé de montagnes sombres les unes à coté des autres formant une chaine, mais aussi les unes derriere les autres ( au moins 4 rangs)
« Du haut de la forteresse, la plaine jusqu’à Argos et la mer. Le royaume d’Agamemnon n’a pas plus de 10 kilomètres et cependant les proportions en sont telles que jamais plus vaste royaume ne s’est étendu sous le soleil »
Camus a visité le site une première fois le 1er mai 1955 et y est retourné le lendemain soir.
« Nous retournons à Mycenes: le soleil vient de se coucher au moment où nous parvenons sur la plus haute terrasse. Entre les pics abrupts qui la dominent une lune transparente navigue légèrement. Mais en face de nous la plaine assombrie s’étend au pied des monts bleus de l’Argos jusqu’à la mer plus claire à notre droite. L’espace est immense, le silence si absolu que le pied se repent d’avoir fait rouler une pierre. Un train au loin halète, un âne dans la plaine pousse sa plainte qui monte jusqu’ici, les sonnailles des troupeaux dévallent les pentes avec un bruit d’eaux. Sur ce décor sauvage et tendre, (…) est magnifique. Sur les coquelicots maintenant épanouis un léger vent passe à ras de terre.
Le plus beau soir du monde se couche un peu sur les lions mycéniens. Les montagnes foncent peu à peu jusqu’à ce que les dix chaînes qui se répercutent jusqu’à l’horizon deviennent une seule »
(Camus, carnets III , 2 mai 1955)




31 aout 2021
Arrivée dans l’après midi d’hier à NAUPLIE. C’est une petite ville sur un promontoire, dominée par un chateau. Le temps est splendide et partout il y a des plongeoirs.
[A plusieurs reprises dans ses notes, Camus parle de ses baignades: à priori il aimait cela, même s’il trouvait l’eau froide.]
Il n’a passé qu’une soirée ici et a diné sur le port . Aujourd’hui le port a certainement été déplacé car il ne reste sur la jetée que quelques canots et un seul filet de pêche.
Je fais le tour du promontoire coté mer par une allée en bas de la falaise, bordée de figuiers de barbarie aux fruits jaunes. (J’ai immédiatement pensé à Kounellis ) La lumière est magnifique, et le vent qui s’engouffre violemment parfois est merveilleusement rafraichissant.
L’eau est turquoise et bordée de pins parasols, on se croirait en Espagne au bord de la Méditerranée. Vers la fin de l’allée , une petite chapelle (afiéroma qui signifie ex-voto).
La ville se remplit le soir sur les terrasses des restaurants, les gens viennent admirer le coucher du soleil qui disparait derriere des colines face au port.
Camus le décrit ainsi :
« Soirée Nauplie devant la mer, à cette heure que les Grecs appellent la royauté du soleil et qui est l’heure de la pourpre dans le ciel, du mauve et des bleus déposés sur les montagnes et les baies. »
Magnifiques roses-jaunes du ciel en effet ! Le soleil descend vite et je prends quelques photos. Je photographie quelques objets qui m’interpellent dans les vitrines. Il y a des chaussons que j’ai déjà vus auparavant, il faudra que je demande ce que c’est exactement. Je visite aussi le Musée du Komboloï (chapelet de perles) et je vous en reparlerai surement car j’ai acheté un livre sur l’histoire de cet objet.
EPIDAURE
« Dans l’après-midi Epidaure où la fête du 1er mai a amené une kermesse de joyeux Grecs. Mais du haut du théâtre dans la lumière épaisse et tiède qui se répand sur les pentes d’oliviers, les eucalyptus, les […] et les acacias, tous les bruits résonnent dans une sorte d’éloignement vaste et doux. Seules les sonnailles des troupeaux de moutons se font entendre au sommet des autres bruits, mais toujours dans le même éloignement. L’heure ici encore est parfaite »
Franchement c’était vraiment l’heure parfaite mais j’ai eu beau tendre l’oreille, je n’ai pas entendu les troupeaux de moutons 





Par contre, l’autre jour en coupant par la campagne entre CorInthe et Mycenes, j’ai trouvé mon pâtre grec !!! (joke)




1er septembre , ENTRE NAUPLIE ET EPIDAURE, il y a une route qui sillonne dans les montagnes . J’y étais seule au monde hier, personne, pas de bruit, et le paysage pour soi. La terre et la pierre rouges, des fleurs séchées tout le long, les éboulis à chaque virage ou presque. Soudain, une église et son cimetière : j’entre et me promène. les photos des gens enterrés là, un pot de basilic sur une tombe, les lampes à huile en plastique.
Je cherchais la falaise dominant l’Argolide dont parle Camus , et j’ai trouvé une exaltation dans un autre paysage.



2 septembre
Départ pour SPARTE, la route est superbe et à nouveau quasi déserte. Au loin, le golfe de l’Argolide inondé du soleil du matin.
A nouveau les « vapeurs bleues » indiquées par Camus.
Magnifique 


2 septembre
« Au matin, départ sur Sparte, sous un soleil redoutable. De larges vallées fondant chacune un royaume d’oliviers et de fiers cyprès, des montagnes arides, de loin en loin un village, la Grèce ici est déserte. Seuls les troupeaux de moutons peints en rose, vert et rouge la parcourent. Dans la plaine de Evrotas, Sparte sous le Taygete neigeux étire ses champs d’orangers dont le parfum volumineux ne me quitte plus. Sur Mistra en ruine, des vols de tourterelles. Couvent tranquille aux murs blanchis à la chaux, ouvert sur l’immense plaine de Laconie aux oliviers bien ronds et bien séparés, frissonnant sous un soleil inlassable. »
Camus, cahiers III, 2 mai 1955
La route est telle que décrite par Camus, et j’ai enfin enregistré le son des clochettes d’un troupeau !
La neige a fondu des sommets, il faut dire qu’il fait si chaud ! La montée de MISTRA fut terrible, je vous épargne ma tête toute rouge …
Déçue par Sparte, je suis repartie rapidement pour me reposer dans les montagnes et préparer la suite du voyage : les îles, enfin (ou déjà ?) c’est pour ce soir !
Allez… je file vers Le Pirée !





Une autre entorse au voyage sur les traces de Camus en Grèce avec la visite du Musée maritime du PIREE !
C’est un cafarnaüm de maquettes de bateaux et de toiles de guerres maritimes mais sont exposés aussi des costumes et decorations de marins. Personnellement j’ai cru voir mon grand-père sur la 1ere photo ! Les couleurs des decorations m’inspirent. Jolie visite !




EGINE
« Départ pour EGINE.
La mer calme. Le ciel chaud et bleu. Petit port. Caïques. Ascension d’Aphaia. Les trois temples qui suspendent dans l’espace en triangle bleu Parthénon, Sounion, Aphaia. Je dors sur les dalles du temple, à l’ombre de colonnes.
Bain prolongé à Aya Marina dans une petite crique tiède.
Le soir on vend sur le port de grands lys dont le parfum suffoque. Egine est l’île des lys. Retour. Le soleil descend, se perd dans les nuages, se transforme en éventail doré puis en grande roue dont les rayons aveuglent. Les îles à nouveau dérivent, que je quitte définitivement le soir. Stupide envie de pleurer. »
(Camus, carnet III)
Bon bien moi je ne vais pas pleurer… Egine me laisse une impression mitigée … Certes le temple est splendide même si je n’ai pas pu y faire la sieste comme Camus
J’ai tenté de reconstituer le triangle dont il parle mais c’est impossible car la végétation a poussé et empêche de voir le Cap Sounion alors qu’on voit très bien l’Acropole.

La lumière était extraordinaire là-haut !
De plus j’ai eu de la chance en passant devant l’église d’Agios Nikolaos d’entendre les chants de la messe !



Sur mon scooter d’un autre âge, j’ai poursuivi ma route autour de l’île, direction Aghia Marina où Camus s’était baigné : bof bof c’est devenu très moche ! Je lui ai préféré Perdika, construit autour d’un petit port de pêche. J’y ai mangé de délicieuses frites d’aubergine puis fait une petite sieste à l’ombre d’un tamaris, au bord de la mer.
D’une manière générale l’urbanisation n’est pas maîtrisée, le béton a remplacé la chaux, dans pas mal d’endroits des constructions sont à l’abandon.
Sinon l’intérieur de l’île est constitué de montagnes, soit rocailleuses amenagees en espaliers, soit recouvertes de pins maritimes qui sentent un parfum de vacances … ah oui à ce sujet je vous l’ai pas encore dit mais je prélève depuis le début du séjour des échantillons de vegetation, je les stocke dans des petits sacs type congélation. Pour l’instant quand je les ouvre ça sent encore les endroits où je suis passée mais je suppose que ça va se dégrader…
La dernière photo est de la pistache, j’en ai vu beaucoup du côté de Perdika. C’est étonnant que Camus n’en parle pas : peut-être qu’à cette époque ce n’était pas encore en spécialité de l’île ?
(Lui parle des lys ???)
Départ demain pour Mykonos 











J’ai trouvé hier dans une boutique du port ces rééditions de cartes postales d’Egine ou Mykonos dans les années 50-60, qui nous donnent une bonne idée je pense de ce que Camus avait vu sur place.
Il y a des gestes qui n’ont pas changé , par exemple hier matin des pêcheurs pliaient un filet noir au pied de leur bateau. 

Regardez bien sur la dernière carte postale la maison de gauche : elle existe toujours (derniere photo) ! Elle est magnifique même si elle aurait besoin d’une bonne renovation.


#MYKONOS aujourd’hui où Camus a débarqué le 7 mai 1955.
« La nuit est tombée quand nous descendons à Mykonos. Autant d’églises que de maisons. Toutes blanches. Nous errons dans des petites rues où s’ouvrent des boutiques colorées. Dans les rues tout à fait sombres, nous rencontrons l’odeur du chèvrefeuille. La lune luit faiblement au-dessus des terrasses blanches. Nous remontons à bord et je me couche si heureux que je ne sens même pas ma fatigue.
Au matin, une lumière divine tombe sur les maisons blanchies de Mykonos »
Camus préférait Mykonos la nuit , et pourtant quelle belle promenade ce matin dans la ville! Et ce ciel bleu !!! J’ai de la chance, pas trop de touristes, mais beaucoup de boutiques et au bout d’un moment je ne regarde plus qu’en haut des murs si blancs. C’est vrai qu’il y a beaucoup églises !
J’aime beaucoup le quartier devant la mer , si agitée aujourd’hui qu’il faut passer entre les vagues qui se fracassent sur la digue le long des bars.
Les ruelles sont pavées de pierres cernées de blanc, formant parfois des tableaux abstraits.





J’arpente ces ruelles et cherche le pélican …
J’allais repartir bredouille et sur qui je tombe nez à bec ?

Hier soir, je suis retournée à MYKONOS pour comprendre ce que Camus avait ressenti en arrivant de nuit. Les vues du haut de la colline au soleil couchant étaient splendides et on mesure le nombre incroyable de petits cubes blancs imbriqués les uns sur les autres. Les nuages longs faisaient penser à des îles suspendues. Ensuite la nuit a pris le dessus , tres belle, bleu marine.
En arrivant au port, toujours les mêmes vagues et ce vent qui empechait les gens de s’assoir sur les 1eres rangées de table des restaurants.
Les ruelles sont ainsi faites qu’on ne le ressent plus !
La nuit la ville comporte des zones bruyantes : les bars et restaurants du bord de mer ( chacun son decor et style de musique), les ruelles des boutiques éclairees comme en plein jour, d’autres quartiers bondés le jour, faiblement eclairés la nuit, déserts, et comme le decrit Camus, des ruelles totalement obscures et un peu mysterieuses. J’ai pris quelques photos puis suis rentrée, pas tres fiere de braver les rafales sur mon scooter.
Aujourd’hui, j’embarque pour Delos, j’espere qu’on aura le droit de monter en haut de la colline , car il y a quelque chose dont parle Camus que je voudrais verifier.




6 septembre 2021.
Conquise par DÉLOS. L’île est presque entièrement recouverte de vestiges. On y sent vraiment tout le poids de l’histoire , c’est splendide !
Camus a écrit :
« Nous levons l’ancre pour Délos. La mer est belle, transparente et pure au-dessus des fonds qu’on aperçoit déjà. En approchant de Délos nous apercevons sur les premières pentes de l’île d’énormes grappes de coquelicots.
Délos. L’île des lions et des taureaux dont la représentation couvre l’île des animaux, car il faut y ajouter les serpents et les gros lézards au corps sombre mais à la queue et la tête vert clair et les dauphins des mosaïques. Le marbre dont sont faits les lions s’était érodé et grêlé sous l’action de l’érosion, si bien qu’ils ont l’air faits de sel gemme, un peu fantomatique, tant on a l’impression que la premiere pluie les dissoudra. Mais cette île des lions et des taureaux est aussi couverte d’ossements bruns et friables que sont les ruines, sous ces ossements, soudain, d’admirables et fraîches découvertes (mosaïques de Dionysos au repos).
L’île des ruines et des fleurs (coquelicots, volubilis, giroflées, asters) aussi. L’île des dieux mutilés du musée (le petit Couros). »



MYKONOS aujourd’hui hors des sentiers battus…. ou plutôt sur les sentiers battus
, avec mon scooter, face au vent à 85kmh, n’en menant pas large parfois sur les pentes à 10% striées de béton… Mais cela m’a donné une autre image de l’île, moi qui desespérais de ne voir que des plages-pistes de dance (une majorité tout de même)

Bon on est tout de même loin du Mykonos de Camus, je me demande s’il aurait apprécié l’île aujourd’hui . Il faudrait peut être revenir au printemps, quand rien n’est aussi sec, quand le vert et les couleurs des fleurs l’emportent sur l’ocre du sable, les bruns du granit et des cactus rampants sur les colines. Quoique, au phare face à la mer, rien n’a changé, on voit les îles danser …
Un pari neanmoins reussi quand aux regles d’urbanisme qui permettent une homogénéité blanche et arrondie.
Pour finir, sur une terrasse au soleil de ce soir, je goutte au Mastiha des Cyclades , la liqueur de mastic qui était déjà consommée … dans l’antiquité ! Voilà, la boucle est bouclée !

Départ demain pour Athènes, la fin du voyage …



Sur les murs de Mykonos des photos de Robert McCabe retraçant le vie ici en 1955. J’ai de la chance , pile-poil l’année qui m’intéresse! Je découvre du coup cet americain qui a beaucoup photographié les cyclades. Je chercherai ses livres en rentrant, ça peut m’aider dans mes recherches.
En attendant, il y a des similitudes avec la Mykonos contemporaine : l’architecture, le blanc, la foule, la fête, la mer et les bateaux…

8 septembre
Pendant que je suis sur le bateau qui m’amène à ATHENES pour la fin du séjour, je vous poste un panoramique avec 3 des commentaires des plus intéressants que Camus a laissés dans ses notes au sujet des Cyclades.
C’est aussi ce qui m’a fait grimper en haut de la colline du site de Délos.
« À midi monter au sommet du Cynthe, et les golfes autours, la lumière, les rouges et les blancs ; Tout le cercle des Cyclades tourne lentement autour de Délos, sur la mer éclatante, dans un mouvement, sorte de danse immobile. Ce monde des îles si étroit et si vaste me paraît être le cœur du monde. Et au centre de ce coeur se tient Délos et cette cime où je suis, d’où je peux regarder sous la droite et pure lumière du monde le cercle parfait qui limite mon royaume »
Camus toujours :
« … Nous retournons alors à Mykonos. Sentiment de liberté infinie à parcourir ainsi la mer en tous sens d’une île à l’autre. Et liberté nullement limitée du fait que ce monde des îles a des bornes. Au contraire cette liberté exulte dans leur cercle. La liberté ne serait pas pour moi de crever ce cercle et de cingler vers Sumatra. Mais d’aller encore de cette île nue à cette île d’arbres, et du rocher à l’île des fleurs. »
Voilà le séjour de Camus dans les îles s’achève et il est bouleversé par toute la beauté de la mer , de la lumière qu’il décrit sans cesse. Il est libre et tout semble possible, ce sont des sentiments que les marins connaissent bien !
Je ne rajoute rien à cela.
A demain, à Athenes.
« … Étrange tristesse si semblable à une tristesse d’amour en voyant disparaître Délos et le Cynthe peu à peu derrière Rinia. Pour la première fois je regarde disparaître une terre que j’aime avec le douloureux sentiment que peut-être je ne la reverrai jamais plus avant de mourir. Coeur serré. Les couleurs changeantes à nouveau sur la mer et sur les îles. Les voiles qui claquent mollement par un faible vent. À peine avons-nous goûté la paix qui monte de la mer vers le ciel qui se vide peu à peu de sa lumière et déjà derrière un îlot rocheux monte la lune. Elle se lève rapidement dans le ciel puis illumine les eaux. Jusqu’à minuit, je la regarde, j’écoute les voiles, j’accompagne intérieurement le mouvement de l’eau sur les flancs du navire. Vie libre de la mer et le bonheur de ces jours. Tout s’oublie ici et tout se refait. Ces jours merveilleux passés à voler sur l’eau , entre les îles couvertes de corolles et de colonnes, dans une lumière inlassable, j’en retiens le goût dans ma bouche, dans mon cœur, une seconde révélation, une seconde naissance… »
(Carnets III, mai 1955)

ATHÈNES, c’est parti!
Place Syndagma, devant le Parlement Grec, les evzones (qui signifie en grec « à la belle ceinture ») effectuent toutes les heures une relève, chorégraphie d’une exacte symétrie. Les chaussures surtout m’ont intriguée et je me demande si les petits chaussons d’Egine (avec pompons) ne viennent pas de ça. Il faut que je me renseigne .
J’aime beaucoup les costumes, et même si je plains les gardes de rester en plein soleil sans bouger pendant une heure ( uniquement pour le folklore alors qu’à l’origine c’était pour défendre le Parlement) j’avoue que ce spectacle m’a plu.



9 septembre
Pour la 1ere fois depuis le début du séjour, je me suis faite guidée durant la visite de l’Acropole.
J’ai bien fait car j’ai compris pourquoi Camus insiste tant dans ses notes concernant l’Acropole sur la perfection des architectes pour eriger le Parthénon. Les colonnes ne sont pas d’equerre, mais penchees vers l’interieur du temple, de façon à ce que , vu de loin , il paraisse droit ( en corrigeant la perspective)
Camus a visité l’Acropole un jour de grand beau temps et à midi . Il parle d’une façon incroyable de la lumière qui l’a touché presque physiquement ( il faut dire qu’il a commencé son sejour grec ici)
Ah oui , toujours ces coquelicots que je ne verrai pas (A Mykonos, un fleuriste m’a confirmé que partout il en poussait , mais plutot en mars et avril. La guide d’aujourd’hui est plutot sceptique sur la pousse des coquelicots sur l’Acropole.)
Ci-dessous les notes de Camus (j’adore cette histoire d’épees ! )
« 27 avril 1955
Acropole. Le vent a chassé tous les nuages, et la lumière la plus blanche et la plus crue tombe du ciel. (…)
Là-haut c’est autre chose. Sur les temples et sur la pierre du sol que le vent semble avoir aussi décapés jusqu’à l’os, la lumière de 11 heures tombe à plein, rebondit, se brise en miliers d’épées blanches et brulantes. La lumière fouille les yeux, les fait pleurer, entre dans le corps avec une rapidité douloureuse, le vide, l’ouvre à une sorte de viol tout physique, le nettoie en même temps.
L’habitude aidant, les yeux s’ouvrent peu à peu et l’extravagance (oui c’est ce qui me frappe, l’extraordinaire audace de ce classicisme) beauté du lieu est accueillie dans un être purifié, passé au cresyl de la lumière.
Alors les coquelicots d’un rouge sombre que je n’avais encore jamais vus dont l’un pousse directement, solitaire sur la pierre nue, les (…) , les mauves, et balisé par des perspectives parfaites, l’espace jusqu’à la mer.
Et le visage de la Coré, la jambe pliée de la troisième, sur l’Erechthéion. »



10 septembre
Ce matin visite au musée de l’Acropole. C’est un musee récent (et magnifique!) qui remplace l’ancien musee que Camus avait visité.
Il comporte toutes les pièces originales de l’Acropole.
Inutile de vous dire que le but premier de ma visite était d’aller voir de près cette fois la fameuse 3eme Corée qui a tant ému Camus !
Pour commencer, il faut savoir que Corés, Korés, Koraïs ou Caryatides représentent les mêmes statues. 6 statues-colonnes qui soutenaient le toit du temple Erechthéion, qui sont des représentations de vierges.
Cinq des Cariatides se trouvent ici à Athènes, et la sixième est au British Museum (gros litige !)
Me voilà donc devant ces colonnes et je relis Camus :
« Et le visage de la Coré, la jambe pliée de la troisième, sur l’Erechthéion… »
Bon il faut savoir qu’elles ont toutes une jambe pliée (
et pas une jambe plus pliée que l’autre) mais pas les mêmes visages.

Ensuite, il peut y avoir deux façons de voir la troisième statue : soit on part de la gauche du temple, dans ce cas la troisième statue est manquante (à Londres), soit on part de la droite et la troisième statue est bien là. Donc je me suis rapprochée d’elle ce matin. Avec des traits de visage plus épais que les autres, c’est une « gueule cassée » : nez et bouche coupés, comme une blessure au front, les orbites enfoncés tres profonds.
Resultat de cette recherche : j’ai quand meme du mal à savoir pourquoi Camus a particulièrement parlé de celle-ci plutot que d’une autre, mystère !!!
Une autre note de Camus qui a vu les Caryatides d’origine au Musée National : « Les Corés devaient me toucher, je le savais, mais l’émerveillement qu’elles m’ont laissé dure encore. On me permet de visiter les caves où l’on a mis certaines d’entre elles pour les protéger de l’invasion et des destructions pendant la guerre. Et là dans la cave où l’histoire les a jetées, elles sourient encore sous la poussière et la paille qui les couvrent et ce sourire par-dessus vingt-cinq siècles réchauffe, renseigne et encourage encore »


La colline aux Muses (Filopappou) Quel joli nom !
Camus l’a montée à deux reprises durant son voyage d’avril 1955. A chaque fois il a noté l’importante de la lumière et les vues incroyables sur l’Acropole et sur la ville, jusqu’à mer.
« Puis je monte sur la colline des Muses. Le soleil bas sur l’horizon n’est pas encore à ce moment où rouge, sa couleur le dessine parfaitement dans le ciel clair. Mais il n’est plus dans sa force, il dépérit et perd sa forme. De sa circonférence rompue s’échappe alors un miel subtil qui se répand dans tout le ciel, dore les collines de l’Acropole, et couvre d’une gloire suave et unique jusqu’aux cubes de la ville éparpillés aux quatre coins de l’horizon, jusqu’à la mer » (28 avril 1955)
Les photos prises hier et les nuages sur Athènes ne démontrent pas tant que ça l’extraordinaire champ de vision depuis le haut de la colline. Mais il est bien là et Camus s’en est ému :
« À nouveau une sorte de joie hilarante devant la prodigieuse audace de l’Acropole où les architectes ont joué non pas avec des mesures harmonieuses mais avec la prodigieuse extravagance des caps, des îles jetées sur un golf immense et d’un ciel à la vaste conquee tournoyante. Ce n’est pas le Parthénon qu’ils ont construit mais l’espace lui-même et dans des perspectives délirantes. Sur toute cette escadre d’îles et de pics dominés par la dunette du rocher, l’apaisement du soir tombe soudain (…) sur une navigation silencieuse. »
D’en haut en effet, on voit un espace tres grand et fermé d’un coté (en demi cercle) par les montagnes autour d’Athenes, et de l’autre côté, dévallant vers la mer et le port du Pirée. Les cubes blancs ont laissé la place à d’autres constructions bien sur mais l’esprit est là . D’ailleurs en arrivant par bateau il y a 2 jours, j’avais noté ces milliers cubes blancs sur la côte, grimpant sur les collines, bien avant d’arriver au Pirée.


My best of le Musée National d’Athènes ! Avec un gros coup de coeur pour les sirènes (ça vous étonne? )






« Ces vingt jours de course à travers la Grèce, je les contemple d’Athenes maintenant, avant mon départ, et il m’apparaissent comme une seule et longue source de lumière que je pourrais garder au cœur de ma vie. La Grèce n’est plus pour moi qu’une longue journée étincelante, étendue le long des traversées et aussi comme une île énorme couverte de fleurs rouges et de dieux mutilés dérivant inlassablement sur une mer de lumière et sous un ciel transparent. Retenir cette lumière, revenir, ne plus céder à la nuit des jours… »
C’est ainsi que Camus clot son premier séjour en Grèce.
Il y retournera 3 ans plus tard, sur un voilier avec des amis, pour un périple dans les Cyclades. Il sera moins volubile, peut-être en profitera t il plus tout simplement?
Pour ma part, l’aventure continue puisqu’il va me falloir désormais préparer une expo dans le cabinet de curiosités de l’Espace Chabran de Draguignan (au printemps prochain).
Merci à tous ceux qui m’ont suivie durant ce parcours! C’était un vrai plaisir pour moi de partager ces moments avec vous !
Émoi et émoluments …
J’y pense en lisant ces textes écrits, à l’écho de tes yeux, de ton coeur et de tes mains.
Devenue l’épousée de ce bien commun, tu nous en transmets la part active, un lègue universel.
J’avais dit à Angelin Preljocaj qu’il écrivait avec les corps, ponctue, dessine la danse sur le sol.
Je dirais que tu fais danser les mots, pas à pas, les rends lumineux et ventés.
Avec la brise, j’ai mis les voiles, au large …
Ce périple m’a ému.
Curieuse de voir l’exposition au soleil de ton inspiration, ;*__*,
Un grand merci Isabella, tu sais que ton avis compte beaucoup pour moi ! C’était un vrai plaisir que de suivre Camus et de relire ses notes chaque jour . Vraiment inspirant ! Et comment rester insensible à ces paysages ? A bientôt … Es tu bien installée ?
En pause pendant plusieurs mois, c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai repris et terminé la lecture de ton journal de voyage : tes notes, celles de Camus en écho aux photos. Un moment d’évasion magique
Merci beaucoup Colette ! Je prépare activement la suite : l’exposition à Draguignan !
Bonne fin d’année à toi 😘